Linky : les leçons d’un combat citoyen
27/02/2020
Propos recueillis par Olivier BRÉGEARD

Au début du déploiement, Enedis avait diffusé une fiche, pour les poseurs, sur « la conduite à tenir » dans diverses situations « pouvant être rencontrées ». En cas de cadenas et d’affiche sur le compteur, le coffret ou la gaine, il était indiqué de « ne pas en tenir compte » et de « casser le cadenas si besoin ». Archives L’Alsace /Sébastien SPITALERI
Bertrand Ivain, vous êtes maire sans étiquette de Saint-Bernard (580 habitants), dans le Sundgau : qu’est-ce qui vous a amené à cofonder le Rassemblement d’élus pour les libertés citoyennes alternatives au Linky (Relcal), en décembre 2018 ?
Mes collègues de Seppois-le-Haut, Fabien Ulmann, et de Burnhaupt-le-Bas, Alain Grieneisen, et moi-même avons été alertés par des habitants, échaudés par les pratiques de poseurs de compteurs Linky, mandatés par Enedis. L’idée a germé de fédérer les communes opposées à ces pratiques brutales, parfois incroyables ! Nous avons commencé à 23 communes, dans tout le Sundgau, jusqu’à Bartenheim-la-Chaussée et Huningue. Nous sommes aujourd’hui 35, jusqu’au Territoire de Belfort et au sud du Bas-Rhin.
Lorsqu’un maire souhaite organiser une réunion d’information sur le Linky, nous venons en appoint. Notre combat, en tant qu’élus, n’est pas de dire si la technologie du Linky est bonne ou mauvaise, c’est de permettre aux gens d’avoir la liberté de le refuser. Dans une démocratie, il n’est pas normal que les citoyens ne puissent choisir par eux-mêmes.
Le Relcal a-t-il entrepris des démarches auprès d’Enedis ?
Non, l’association n’a pas autorité pour le faire. Chaque adhérent peut le faire en tant que maire de sa commune. J’ai reçu, dans mon bureau, des représentants d’Enedis, pour leur expliquer que nous ne voulions plus de ce genre de comportement. Leur défense était que le poseur était lui-même la victime du client réfractaire…
Quand j’ai été interpellé pour la première fois par des habitants de ma commune, je n’avais jamais entendu parler du Linky. Je me suis donc renseigné et j’ai d’abord cru à des « fake news » : ce qui était dénoncé était tellement énorme que je ne pouvais y croire ! Mais plus le déploiement avançait, plus ces informations se vérifiaient. J’ai donc pris un arrêté pour que soit respecté le désir de mes administrés. Mais je n’ai pas été très loin dans l’expertise juridique de la chose : ça me semblait du ressort du maire de chercher la paix dans son village. Le préfet m’a demandé de retirer cet arrêté, j’ai refusé, mais le tribunal administratif de Strasbourg a estimé que je n’avais ni autorité, ni compétence pour prendre un tel arrêté, que les compteurs ne m’appartenaient pas, que je n’avais pas démontré les faits imputés aux poseurs…
Il faut savoir qu’en juillet 2019, sur une interprétation particulière de deux articles de loi, le Conseil d’État a jugé que les compteurs appartenaient aux syndicats d’électricité, et non aux communes. Le syndicat du Haut-Rhin [NDLR : qui comprend 367 des 377 communes du département] a immédiatement modifié son règlement en ce sens. Les syndicats organisent la distribution d’électricité sur leur territoire, à mon sens de façon positive, mais ils sont complètement inféodés à EDF. Il est dommage que la position divergente d’une minorité, qui représente tout de même près de 10 % des communes – certes petites – du département, ne puisse être entendue.
« Une forme de chantage »
Comment ont évolué vos relations avec EDF ?
Nous avons été soumis à une forme de chantage. Le syndicat d’électricité permet d’obtenir des subventions, par exemple pour réaliser des travaux d’enfouissement des lignes électriques. Saint-Bernard avait un tel projet pour embellir les alentours de l’église, il a été présenté à l’assemblée plénière du syndicat, qui l’a validé. Mais Enedis l’a refusé, en me présentant toutes sortes d’excuses. La dernière a été que le compteur Linky faisait partie intégrante de la ligne électrique remplacée. Jusque-là, pourtant, l’enfouissement n’entraînait pas le remplacement des compteurs ! Nous avons donc refusé les subventions et abandonné les travaux. D’autres collègues, ayant déjà engagé les travaux, ne pouvaient se passer des subventions – 40 % du montant total, c’est beaucoup d’argent. Ils se sont retrouvés coincés et ont dû accepter le Linky.
Constatez-vous aujourd’hui une forme de résignation de la population ?
Dans ma commune, 25 % de la population est désormais équipée du Linky, mais personne ne s’en est réjoui. Parmi ces 25 %, certains n’avaient pas le choix : ils construisaient, agrandissaient leur maison, installaient du photovoltaïque et, dans chacun de ces cas, Enedis leur a imposé le Linky. Ceux qui ont pu préserver l’intégrité de leur habitation se demandent quelle sera la suite. Nous n’en savons rien.
Espoir et fierté
Et pour votre part, quel bilan faites-vous de cette expérience, à ce jour ?
J’en retire un sentiment de fierté, face à la résistance dont fait preuve la population. J’ai participé à plus de 25 réunions publiques dans tout le Haut-Rhin et j’ai été très agréablement surpris par la qualité des débats, l’engagement citoyen des personnes présentes, souvent nombreuses. Parfois, la salle était comble et des gens nous écoutaient par les fenêtres ouvertes ! Ils m’ont donné beaucoup d’espoir dans la démocratie.
SOURCE : https://www.lalsace.fr/environnement/2020/02/24/linky-les-lecons-d-un-combat-citoyen
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