Le compteur critiqué côté factures
27/02/2020

À la fois consommateur et producteur, grâce à douze panneaux photovoltaïques, un habitant de Kingersheim dénonce « une manipulation » de ses données depuis qu’elles sont relevées par des compteurs Linky.
Marc Fuss devant sa maison de Kingersheim, qu’il a équipée de douze panneaux photovoltaïques en 2010. Photo L’Alsace /Vincent VOEGTLIN
Le compteur « intelligent » d’Enedis défraye la chronique depuis plusieurs années déjà, suscitant le rejet d’une partie de la population et des élus, qui y voient surtout un risque pour la santé et les libertés publiques. Marc Fuss, lui, en épingle de possibles « dérives », impactant les factures des clients d’EDF.
Quand le mieux est l’ennemi du bien
Cet habitant de Kingersheim, retraité de la SACM où il gérait l’installation de groupes électrogènes, cherche depuis longtemps à réaliser des économies d’énergie. Dans sa maison de la rue Debussy, où il réside depuis trente ans, il a fait remplacer ses convecteurs électriques par des radiateurs en fonte d’aluminium qui réagissent « au dixième de degré ». Il est titulaire d’un contrat EJP (effacement des jours de pointe), une offre commercialisée par EDF jusqu’en 1998, qui fait varier le prix du kWh en fonction du jour : ce prix est plus bas que le tarif réglementé, sauf durant vingt-deux jours de pointe, entre le 1er novembre et le 31 mars, où le client a intérêt à réduire sa consommation.
En août 2010, enfin, il a investi un peu plus de 20 000 € dans l’installation de douze panneaux photovoltaïques, d’une puissance maximale totale de 2 280 watt-crêtes. Il est donc également titulaire d’un contrat pour l’électricité qu’il revend à EDF. C’est pour cette raison qu’en mars 2017, les prestataires d’Enedis ont installé chez lui deux compteurs Linky : l’un pour sa consommation, l’autre pour sa production (des compteurs uniques sont désormais disponibles pour ce genre de situation). Depuis, Marc Fuss ne dort plus bien, mais pas à cause des ondes diffusées par ses compteurs…
Côté production, quel que soit l’ensoleillement, il a constaté une baisse systématique, mois après mois, par rapport à l’année précédente, pour aboutir à une perte de 172 kW en douze mois. « On peut admettre une perte de rendement des équipements après quelques années, mais à ce point-là ! », s’insurge-t-il.
« Je ne sais plus ce que je produis, ni ce que je consomme réellement »
Côté consommation, au contraire, il a assisté à une augmentation, malgré un mode de vie toujours aussi sobre. Passée de 9 562 kW en 2013-2014 à 4 973 kW avant l’arrivée du Linky, grâce au remplacement de tous ses appareils électriques par des modèles plus économes, elle est remontée à 5 319 kW l’année suivante. « Chaque mois était excédentaire par rapport à l’année précédente », indique-t-il, en montrant ses relevés scrupuleux.
En octobre 2018, il a adressé une réclamation à Enedis, puis saisi le médiateur national d’EDF, qui lui a répondu le 18 janvier 2019. « Après analyse », ce dernier a estimé que « l’exactitude de l’historique des données » avait été démontrée par le distributeur. Il lui a cependant demandé un « geste » de 100 €, « dans un souci d’équité ». EDF avait déjà accordé un « geste commercial » de 100 €, au titre de la « fidélité » de Marc Fuss.
Ces 200 € représentent davantage d’argent que ce qu’a perdu le Kingersheimois – un préjudice également trop faible pour le pousser à une action en justice, qui lui coûterait bien davantage. Mais le septuagénaire échaudé insiste pour obtenir un « retour à la normale » dans les relevés. « Je ne sais plus ce que je produis, ni ce que je consomme réellement », déplore-t-il.
« Si chaque foyer se fait avoir de quelques dizaines d’euros par an… »
Plutôt qu’un dysfonctionnement des compteurs Linky, Marc Fuss dénonce « une manipulation flagrante et frauduleuse » des données relevées, à partir de ses factures du second semestre 2017. « Moi, à cause de mes équipements, je garde un œil en permanence sur tout ça », souligne-t-il. « Mais ça n’est pas le cas de tous les Français. Et si chaque foyer se fait avoir de quelques dizaines d’euros par an… »
La crise de confiance ne concerne pas que le Linky et Enedis. L’affaire a amené Marc Fuss à prendre ses distances avec le maire de Kingersheim, « un ami de trente ans » auquel il avait écrit pour lui demander qu’on lui remette les anciens compters – c’était avant que le Conseil d’État ne retire aux communes la propriété des compteurs… -, tout en le menaçant de porter plainte contre lui « pour tromperie », ce qui n’est certes pas très amical. L’édile a fini par lui demander de ne plus l’importuner, au regard « des responsabilités plus importantes, plus graves, plus sérieuses » qui lui incombent. Jo Spiegel n’est pas adhérent au Relcal.
L’insaisissable surfacturation
La surfacturation qui serait liée aux compteurs Linky est un des arguments récurrents des opposants, mais les associations sont bien en peine de fournir des exemples concrets dans la région. « Il y a un ou deux cas dans mon village », affirme Jean-Philippe Léglise, chargé de centraliser les « incidents » pour Stop Linky 68, qui regroupe une trentaine de « collectifs » locaux, « un peu moins actifs aujourd’hui ». « Des gens me parlent de surfacturation », répond Marie Gaspard, à Balschwiller, sans pouvoir préciser davantage. Les victimes dont Bertrand Ivain a eu connaissance « n’ont pas souhaité se lancer dans des procédures ».
Pour sa part, Enedis n’a tout simplement « pas connaissance de cas de surfacturation en Alsace ». Début 2016, un collègue de notre journal a cependant vu sa facture exploser avec le Linky. « La consommation relevée par le compteur était juste, mais ce qu’EDF facturait était totalement aberrant », se souvient-il. Il a finalement obtenu un à-valoir, mais jamais d’explication.
Aujourd’hui, les militants locaux mettent surtout en avant le risque d’incendie, même si Marie Gaspard parle aussi d’électrosensibles « de plus en plus nombreux ».
Fin janvier, Enedis indiquait que 242 334 compteurs communicants avaient déjà été posés en Alsace, soit 61 % du déploiement. La pose de l’ensemble des compteurs est prévue pour fin 2021.
SOURCE : https://www.lalsace.fr/environnement/2020/02/24/le-compteur-critique-cote-factures
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